DE LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE D’UNE COUR DE JUSTICE – IMPLICITÉ, CONTEXTE ET INTERPRÉTATION

par: Laurent Bouvier Tremblay

La compétence d’une cour de justice peut s’établir de plusieurs façons. Le droit québécois prévoit diverses situations dans lesquelles une cour de justice devient compétente pour entendre un litige. Notamment, à titre d’exemple, dans le cadre d’une entente, les parties peuvent se mettre d’accord de soumettre tout éventuel litige à la juridiction de leur choix, une clause communément appelée une élection de for.

Toutefois, la compétence d’une cour de justice peut aussi découler des actions d’une partie. Tel que prévu dans le Code civil du Québec, dans une instance, un défendeur peut reconnaître la compétence d’une cour de justice. Mais comment cette règle est-elle interprétée? La Cour suprême, dans l’arrêt Barer c. Knight Brothers LLC, 2019 CSC 13, semblait avoir mis fin au débat. Toutefois, à la lumière d’une décision subséquente de la Cour d’appel du Québec, le tout ne semble plus aussi clair.

Afin de bien cadrer comment la reconnaissance volontaire d’un défendeur de la compétence d’une cour de justice est analysée, il est nécessaire de faire un bref résumé des faits de l’affaire. Monsieur Barer, en son nom personnel, et deux sociétés sous son contrôle sont poursuivis par Knight Brother LLC (ci-après « Knight ») devant les tribunaux de l’État du Utah. Knight poursuivait les trois défendeurs entre autres pour le paiement d’une somme et la levée du voile corporatif. La défense a présenté trois requêtes, soit que la demande de Knight était irrecevable en droit, que le tribunal de l’Utah n’avait pas compétence à l’égard de Monsieur Barer personnellement, et finalement que Knight n’avait pas démontré que la levée du voile corporatif était justifiée. Les trois requêtes ont été rejetées par le tribunal de l’Utah, et un jugement par défaut a été rendu contre les trois défendeurs.

Jusqu’ici, rien ne pose problème. Cependant, Knight a demandé la reconnaissance du jugement de l’Utah au Québec, laquelle a été contestée par Monsieur Barer, au motif que le Tribunal de l’Utah n’avait pas la compétence pour entendre le litige. La Cour supérieure a tranché en faveur de Knight, notamment parce que Monsieur Barer aurait reconnu la compétence du Tribunal de l’Utah. La Cour d’appel en est venue aux mêmes conclusions. Monsieur Barer s’est ensuite tourné Cour suprême.

La Cour suprême a tranché en faveur de Knight. En présentant des arguments de fond, notamment dans sa requête en irrecevabilité, Monsieur Barer a reconnu la compétence du tribunal de l’Utah. En effet, si le tribunal de l’Utah accordait ladite requête, le litige aurait pris fin. Ainsi, même si Monsieur Barer contestait en même temps, dans une autre requête, la compétence du Tribunal de l’Utah, le fait de présenter une défense sur le fond de l’affaire constituait automatiquement une reconnaissance de la compétence.

Ainsi, la Cour suprême est venue confirmer que l’approche dite de « sauver les meubles », aussi connue en anglais comme « to hedge his bets » n’est pas acceptée par les tribunaux canadiens comme défense à la reconnaissance volontaire de la compétence du tribunal. À la lecture de Barer, la question semble résolue de façon claire : présenter un argument de fond, qui peut résoudre, en partie ou totalement, le litige, équivaut à reconnaître la compétence de ce tribunal.

Toutefois, à la lecture de l’arrêt Groupe SNC-Lavalin Inc. c. Siegrist, 2020 QCCA 1004, décision de la Cour d’appel postérieure à Barer, nous allons voir que ce n’est pas nécessairement le cas.

Dans ce cas précis, SNC-Lavalin poursuit les défendeurs, Suisses en l’occurrence, pour atteinte à sa réputation. Elle soutient que les défendeurs ont reconnu la compétence du tribunal québécois en soulevant un argument de fond concernant la prescription de la réclamation pour atteinte à la réputation. Pour étayer son argument, SNC-Lavalin se réfère aux conclusions de l’arrêt Barer.

Cependant, le tribunal rejette l’argument de SNC-Lavalin en soulignant que, contrairement à l’arrêt Barer, les défendeurs suisses n’ont pas explicitement ou implicitement reconnu la compétence de la Cour supérieure. Les défendeurs ont plutôt contesté la compétence du tribunal québécois en arguant que la réclamation pour atteinte à la réputation était prescrite, stratégique et exagérée. Ainsi, pour la Cour d’appel, l’argument sur la prescription s’inscrivait dans le principal argument des défendeurs, soit que SNC Lavalin aurait allégué avoir subi une atteinte à sa réputation dans le seul but de rendre les tribunaux québécois compétents. La demande était donc purement stratégique, exagérée et, de plus, prescrite.

Ainsi, la Cour d’appel rappelle dans son jugement que la question de savoir si une partie a reconnu la compétence d’un tribunal nécessite une évaluation contextuelle, et que cette reconnaissance doit être claire et évidente. Donc, la reconnaissance ne repose pas uniquement sur la présence ou non d’un argument de fond.

Ce bref exposé du droit québécois sur la question de la reconnaissance par le défendeur de la compétence du tribunal révèle un élément important.

Bien que l’arrêt Barer établit une règle claire selon laquelle la présentation d’arguments de fond équivaut à une reconnaissance implicite de la compétence d’un tribunal, cette dite reconnaissance de la compétence d’un tribunal nécessite une évaluation contextuelle, prenant en compte l’ensemble des circonstances et des arguments avancés par les parties. Ainsi, le défendeur a un choix lourd de conséquences à faire, et la précaution est de mise.